"Le poète s'en va dans les champs ..."
Le poète s'en
va dans les champs ; il admire,
Il adore ; il écoute en lui-même
une lyre ;
Et le voyant venir, les fleurs, toutes les
fleurs,
Celles qui des rubis font pâlir les couleurs,
Celles
qui des paons même éclipseraient les queues,
Les petites fleurs
d'or, les petites fleurs bleues,
Prennent, pour l'accueillir
agitant leurs bouquets,
De petits airs penchés ou de grands airs
coquets,
Et, familièrement, car cela sied aux belles :
- Tiens
! c'est notre amoureux qui passe ! disent-elles.
Et, pleins de
jour et d'ombre et de confuses voix,
Les grands arbres profonds
qui vivent dans les bois,
Tous ces vieillards, les ifs, les
tilleuls, les érables,
Les saules tout ridés, les chênes
vénérables,
L'orme au branchage noir, de mousse appesanti,
Comme
les ulémas quand paraît le muphti,
Lui font de grands saluts et
courbent jusqu'à terre
Leurs têtes de feuillée et leurs barbes
de lierre,
Contemplent de son front la sereine lueur,
Et
murmurent tout bas : C'est lui ! c'est le rêveur !
Le poète s'en va dans les champs ...
Victor Hugo ("Les Châtiments" - 1853)
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